Mali, novembre 2025: Brouillard de guerre et propagande

Crise au Mali en novembre 2025 : blocus de JNIM sur Bamako, affrontements généralisés, brouillard de guerre et signaux faibles à surveiller

NorthAfrica Intel

11/10/202511 min temps de lecture

Mali, novembre 2025 - Brouillard de guerre et réseaux sociaux

Note d'information NAIntel #001

Démêler le vrai du faux dans la situation qui se déroule actuellement au Mali relève de l'exploit. Au brouillard de guerre (l'expression consacrée pour désigner l'incertitude et la confusion inhérentes aux conflits) s'ajoute une désinformation massive et une propagande des deux camps amplifiée par les réseaux sociaux. Dans le cas présent, JNIM et FAMa mènent une guerre informationnelle où chaque événement est disputé en ligne, rendant difficile la distinction entre faits et manipulations. Cette note se propose de faire le point sur la situation actuelle, de définir les forces en présence et d'identifier les signaux faibles à surveiller afin d'anticiper les prochains événements.

Situation opérationnelle

Le Mali traverse actuellement une phase critique de déstabilisation résultant du blocage par Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM, groupe armé affilié à Al-Qaïda) des routes d'approvisionnement en carburant depuis la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Mauritanie, dans le but d'exercer une pression sur les militaires au pouvoir, avec à leur tête le général Assimi Goïta.

Ce blocus, initié début septembre 2025, s'est intensifié depuis la mi-octobre, paralysant Bamako et les régions situées au centre et au sud du Mali. Les attaques contre les convois de camions-citernes ont entraîné des pénuries sévères : files d'attente interminables aux stations-service, suspension des écoles et universités, et une économie au ralenti. Certaines attaques sont documentées par le groupe JNIM lui-même sur les réseaux sociaux. Au moins 50 camions ont été détruits depuis mi-septembre, selon ACLED, isolant les garnisons gouvernementales et exposant les civils à une vulnérabilité accrue.

Les Forces Armées Maliennes (FAMa), soutenues par Africa Corps (ex-Wagner), une organisation paramilitaire russe, mènent des contre-offensives sporadiques : frappes aériennes par hélicoptères Mi-8 et drones turcs Bayraktar Akinci sur des positions JNIM à Ségou et Sikasso, dans le but de repousser les JNIM (207 morts selon ACLED).

Cependant, les FAMa peinent à sécuriser les axes vitaux : les combats se concentrent sur un arc Bamako-Ségou-Kayes, à moins de 100 km de la capitale, où le groupe JNIM tente d'exploiter les faiblesses logistiques pour mener une guerre d'harcèlement.

Acteurs principaux

FAMa (militaires maliens) + AfricaCorps (groupe paramilitaire russe):
  • Dirigés par le général Assimi Goïta depuis les coups d'État de 2020-2021

  • Nombre de combattants: Environ 36 000 hommes au total (en 2022)

    • FAMa: Environ 34 000 hommes, mais ils ne sont pas tous mobilisés dans le centre et le Sud du pays. Difficile de chiffrer combien de soldats sont mobilisés pour lutter contre JNIM.

    • AfricaCorps: Environ 2 000 paramilitaires russes (spécialisés en appui aérien et en renseignement).

  • Stratégie: Contre-insurrection hybride, recherche et destruction de camps du JNIM avec reconnaissance aérienne, protection de convois de carburant, protection de civils

  • Objectif: Assurer un contrôle effectif sur l'ensemble du territoire malien

    JNIM - Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin

  • Groupe dirigé par Iyad Ag Ghali, né de la fusion de groupes armés islamistes ayant anciennement combattus les troupes française de l'opération Serval. Ces groupes comprennent al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) (initialement basé en Algérie), et trois groupes armés islamistes maliens: Ansar Dine, Al-Murabitun and Katiba Macina.

  • Nombre de combattants: 6 000 à 8 000 hommes

    • JNIM: difficile à estimer, le Washington Post évoque 6 000 hommes.

    • Mouvements de l'Azawad (CSP, ex-CMA): ~2 000 rebelles touaregs/arables au nord (Kidal, Gao) ayant formé une coalition opportuniste avec JNIM contre Bamako. Les deux groupes ont remporté une victoire commune à Tin Zaouatène en juillet 2025, une défaite majeure pour Wagner. Sécessionniste, leurs motivations ne sont pas les mêmes que JNIM, mais ils partagent un ennemi commun.

  • Stratégie : Blocus asymétrique et guerre de harcèlement. Financement au moyen de prises d'otage, capture de convois de carburant à des fins logistiques.

  • Objectif : Déclencher un effondrement étatique, avec contagion vers le Burkina Faso et le Niger

Chronologie des affrontements FAMa vs JNIM

Brouillard de guerre et propagande

Difficulté pour les médias traditionnels de rapporter les faits


Les médias internationaux traditionnels peinent à couvrir le Mali, car l'accès au pays est restreint et la situation étant chaotique, elle est également dangereuse. Les militaires maliens au pouvoir imposent des accréditations délivrées au compte gouttes et limitent les visas d'entrée. Certains médias français sont bannis du territoire malien, dans un contexte de suspicion étant donné l'historique entre les autorités françaises et le pouvoir malien actuel. Cependant, les journalistes internationaux ne sont pas davantage présents sur place, car les conditions sur le terrain sont précaires et les risques proviennent des deux camps: kidnapping par JNIM et disparition orchestrée par le gouvernement. Les informations parcellaires et non recoupées poussent à émettre des hypothèses non fondées; le Wall Street Journal a par exemple prématurémant annoncé la chute du pouvoir de Bamako sans tenir suffisamment compte des réels rapports de force sur le terrain.

Résultat : pas d'enquêtes in situ, forçant le recours à des sources secondaires et poussant les personnes souhaitant s'informer sur la crise malienne à se tourner vers les médias sociaux.

Remarque: Présence évidente d'un vide informationnel qui permet à des intermédiaires biaisés de filtrer les informations émanant du front.

Propagande sur les réseaux sociaux... y compris de parties tierces intéressées

Les réseaux comme X et Telegram constituent le champ de bataille informationnel principal en ligne.

JNIM diffuse sur Telegram (canal officiel Al-Zallaqa) des vidéos d'embuscades ou de victoires éclatantes, souvent exagérées, afin de booster l'arrivée de nouvelles recrues et de propager la peur dans les rangs des FAMa.

  • Ce fut le cas pour l'assaut de JNIM sur Soumpi; les premières publications sur X faisaient état d'une opération réussie par JNIM, pour que l'on apprenne quelques heures plus tard que l'issue des combats était plus nuancée.

  • Des comptes reprennent également des fausses nouvelles favorables au JNIM, sans que l'on puisse déterminer si ces comptes sont formellement liés au groupe armé. Une fausse note du chef d'État major de l'Armée burkinabée a circulé sur X; cette note révelerait une soi-disant mésentente entre le Burkina Faso et les autorités maliennes. Ce genre de publications a pour objectif évident de saper le soutien de l'opinion publique malienne au autorités de Bamako en faisant douter de l'unité des pays de l'AES.

Les FAMa ripostent sur X (@DirpaFa) avec des communiqués triomphalistes sur des "frappes réussies" dont il est difficile de vérifier les résultats. Par ailleurs, l'inauguration de la mine de lithium de Bougouni le 3 novembre, destinée à rassurer la population, tranche avec la proximité des combats et projette l'image d'une "normalité" illusoire.

Des comptes pro-AES et des bots russes ont également été pris en flagrant délit de fake news.

  • Une publication prétendait que l'armée malienne avait abattu un hélicoptère de JNIM alors qu'il s'agit en réalité d'un krach d'hélicoptère de l'armée sénégalaire remontant à 2018.

  • Une autre publication, qui attribue à Fousseynou Ouattara, vice-président de la Commission de Défense, des propos selon lesquels les "terroristes reçoivent des données satellitaires de la France et des États-Unis" est tout simplement invérifiable, et n'a probablement jamais été prononcée, mais a été reprise mot pour mot par plusieurs comptes pro-AES.

  • Le ressentiment à l'égard de la France, anciennement engagée au Mali, est très palpable dans les publications des comptes pro-AES; un ressentiment instrumentalisé à des fins de communication interne par les autorités maliennes. Un faux communiqué attibué aux Français résidant au Mali a été largement repris sur X, alors qu'une simple recherche permet de constater qu'il n'existe aucune trace du signataire de cette lettre, un certain Clément Larille, représentant designé des Français au Mali.

Il convient de noter que ce ressentiment ne vient pas de nul part: la France avait jusqu'à il y a peu un rôle important au Mali. En 2022, elle est contrainte d'annoncer le retrait de ses militaires du Mali du fait des mauvaises relations avec les nouvelles autorités maliennes issues du coup d'État de 2020.

-Le 7 novembre 2025, la France appelle ses ressortissants à quitter le pays "dès que possible".

-Via des canaux officiels (@frenchresponse), elle critique également le changement de position de la Russie au Mali, au moyen d'une courte vidéo publiée le 8 novembre).

-Le 4 novembre, CMACGM, important groupe français, avait indiqué suspendre ses activités de transport par voie terrestre avant de se raviser.

D'autres puissances sont concernées par la crise malienne.

L'Algérie, qui est elle aussi brouillée avec le pouvoir malien actuel, lequel a d'ailleurs accusé l'Algérie de soutenir le "terrorisme international" à la tribune de l'Assemblée générale des Nations Unies, surveille la situation de près. La position non officielle du pays transparaît dans les publications de comptes soupçonnés d'être proches du pouvoir. Le compte @algatedz a par exemple publié un message annonçant que l'imam Dicko, notoirement proche du pouvoir algérien, serait un candidat "consensuel" à la transition et s'interroge sur son retour imminent. L'Algérie, qui est isolée sur la scène internationale, surtout depuis son échec au Conseil de Sécurité des Nations Unies, voudra maintenanir sa stratégie Sahélienne: contrôler le désordre mais ne pas le régler. Elle n'a pas intérêt à avoir un failed state à sa frontière Sud, mais un état malien faible lui permettra de continuer à déployer ses réseaux au Sahel et maintenir son influence.

La Turquie, qui cherche à étendre son empreinte en Afrique dans le cadre d'une stratégie d'inflence néo-ottamane (qu'il conviendrait de développer dans un dossier complet), est également impliquée. Un document ayant fuité sur X révèle qu'un contrat a été conclu "entre le chef des services de renseignement maliens, le colonel Modibo Koné, et le fabricant turc Baykar, constructeur des drones de combat Akinci. Ce contrat, référencé Baykar 2024-08-1001, a été conclu sans aucune implication du ministère de la Défense". S'il venait à être authentifié, ce contrat interrogerait sur le jeu joué par la Turquie au Mali et sur les dissensions au sein du pouvoir malien.

Les Émirats Arabes Unis ont versé fin cotobre 2025 une "rançon record" de 50 millions de dollars pour la libération de trois otages, dont un membre de la famille royale de Dubaï. Les informations publiques sur ce deal indiquent que celui-ci prévoyait également d'importantes livraisons de matériel, ce qui soulève des questions et rappelle le rôle trouble joué par les Émirats au Soudan. Notons que les Émirats ont également été identifiés par le Wilson Center comme un des pays ayant le plus d'intérêts dans la contrebande d'or malien.

Enfin, la Russie est bien évidemment impliquée au Mali. Son rôle est connu et bien documenté, notamment à travers AfricaCorps (ex-Wagner) et sa coopération militaire avec les autorités de l'AES. La Russie contribue à alimenter le sentiment anti-français, car elle a pour objectif de reprendre le rôle anciennement joué par la France au Sahel.

L'incertitude quant à l'issue des affrontements accentue la confusion et le recours à la propagande


L'issue des combats reste imprévisible : JNIM mènent des actions de guérilla efficaces, sans volonté de prendre des grands centres urbains pour l'instant, tandis que les FAMa dépendent de l'appui aérien, moins efficace contre des cibles mobiles. Cette asymétrie génère un brouillard de guerre : impossibilité de confirmer les pertes réelles des deux camps, difficulté à géolocaliser les événements, communications oscillant entre effondrement du pouvoir en place et défaite des jihadistes. Dans ce contexte d'incertitude, chaque camp amplifie donc sa propagande : JNIM pour remonter le moral de ses troupes, FAMa pour légitimer le pouvoir en place. L'absence de résolution claire (pas de victoire décisive) nourrit des rumeurs, entraînant une escalade de la désinformation des deux camps, et semant le désarroi au sein de la population malienne.

Signaux faibles et événements à surveiller

Pour détecter un réel basculement vers un scénario ou un autre, au-delà du bruit des réseaux sociaux, tout décideur ou observateur devra surveiller avec attention une série de signaux faibles :

  • Effondrement du pouvoir de Bamako Probabilité: 20%

    Affaiblissement marqué du pouvoir militaire, laissant envisager une chute imminente du pouvoir actuel

    • Signaux faibles:

      -Augmentation croissante du volume d'attaques et de leur ampleur

      -Défections massives de soldats des FAMa (rapports désertion >100/sem.)

      -Échecs répétés de l'arrivée de convois de carburants escortés par les paramilitaires russes causant des pénuries de carburant de plus de deux semaines et des émeutes civiles.

      -Évacuations occidentales, russes et chinoises.

  • Reprise de contrôle par les FAMa Probabilité: 20%

    Reprise de contrôle graduelle de la situation sur le terrain par les FAMa et victoires tactiques

    • Signaux faibles

      -Frappes aériennes FAMa avec confirmation d'un nombre important de combattants, couplée à une diminution des attaques revendiquées par JNIM;

      -Réouverture des routes au Sud et maintien d'un approvisionnement régulier en carburant vers le centre du pays.

      -Augmentation significative sur les réseaux, notamment X, du nombre de publications positives de comptes pro-junte (par exemple +50 % sur 7 jours) combinée à une diminution des communications de JNIM;

      -Mise en opération effective de la mine de lithium dans la région de Bougouni et premier shipment (aux alentours de décembre 2025).

  • Vers un maintien de l'insécurité et une contagion régionale Probabilité: 60%

    JNIM renonce à prendre des zones urbaines importantes, en raison du coût élevé en ressources humaines et matérielles que cela entraînerait, en plus de les exposer à des intervention étrangères. JNIM se prépare à un conflit de longue haleine.

    • Signaux faibles :

      -Poursuite des attaques en périphérie de Bamako sans offensive généralisée

      -Incursions avérées de JNIM au Burkina Faso et au Niger, signe d'une extension des activités de JNIM;

      -Attaques répétées au Nigeria (Kwara, comme en oct. 2025) indiqueraient une expansion du mouvement vers le Sud, laquelle pourrait être entravée par la compétition avec d'autres groupes armés

Note additionnelle:

Une tendance curieuse émerge : les groupes jihadistes comme JNIM et ISGS concentrent leurs activités dans les zones les plus riches en ressources minières du Mali.

Présence d'africacorps en afrique credit: diploweb

principaux points de blocage mis en place par Jnim. credit:brant philip @BrantPhilip_

activités des groupes terroristes au mali et localisation des principales ressources minières du pays

Positions de JNIM en date du 22 octobre 2025 Credit: @criticalthreats

territoires disputés et lieux des attaques sur les convois credit: philip @Seb_MASSON @CArtesdumonde