Algérie-Maroc: la "guerre de l'eau" – Briefing OSINT NAIntel #1

La rivalité de longue date entre l’Algérie et le Maroc se déplace sur un nouveau front : la « guerre de l’eau ».

10/30/20255 min temps de lecture

Guerre de l'eau Maroc Algérie – Briefing OSINT NAIntel #1

Introduction

Les deux pays sont confrontés depuis 2021-2022 à un stress hydrique intense et dans un contexte bien connu de guerre larvée, l’eau n’est pas seulement une ressource, mais une arme. La rivalité de longue date entre l’Algérie et le Maroc, s’est souvent jouée dans les sables du Sahara. Avec les changements climatiques, un nouveau front s’est ouvert : la « guerre de l’eau ».

Le terme de « stress hydrique » désigne, selon l'ONU, une situation où les ressources en eau renouvelables tombent en dessous de 1 700 m³ par habitant et par an, passant à la rareté en dessous de 1 000 m³ et à la rareté absolue sous 500 m³. À titre de comparaison, en 2025, l'Algérie affiche 242 m³ par habitant, bien en dessous des seuils critiques. Le Maroc, durement affecté par la sécheresse, comme le démontrent les images satellite, s’en sort mieux, mais avoisine tout de même seulement 777 m³ par habitant, ce qui reste insuffisant (données pour 2022 – la situation a dû se dégrader depuis en raison de plusieurs années de sécheresse consécutives).

Le différend frontalier entre les deux pays se cristallise autour de l'Oued Guir (Figure 2), un cours d'eau transfrontalier vital pour l'agriculture et la survie dans ces régions semi-arides.

Pour les entreprises des deux côtés de la frontière, cette situation se traduit par des risques accrus sur les chaînes d'approvisionnement agricoles, avec des perturbations potentielles dans les exportations de dattes ou céréales, et des opportunités en technologies de dessalement. Mais la situation présente également un risque au plan humanitaire et social, surtout pour les femmes et les populations plus fragiles, créant des occasions d’intervention pour les ONG internationales. Les décideurs politiques doivent quant à eux naviguer entre impératif de souveraineté, crise sociale et coopération régionale impossible dans un contexte de guerre de basse intensité.

Situation actuelle

Le conflit sur l'eau transfrontalière entre le Maroc et l'Algérie s'intensifie sans escalade armée, mais avec une rhétorique hostile accrue des autorités, surtout côté algérien.

Chronologie datée des événements clés :

  • 2021 : Mise en service du barrage Kadoussa par le Maroc sur l'Oued Guir, capacité de 220 millions m³. L'Algérie accuse Rabat de "séchage systématique", réduisant le débit vers le barrage algérien de Djorf Torba. Les images satellitaires semblent démontrer que les niveaux d'eau fluctuaient déjà drastiquement avant sa construction (Figure 1 )

  • Mai 2024 : Au Forum mondial de l'eau à Bali, le ministre algérien Taha Derbal accuse le Maroc d’« obstruer » et « détruire les eaux de surface transfrontalières ». Les autorités marocaines ne réagissent pas, se contentant de communiquer sur le fait que le barrage a pour objectif de permettre la culture de dattes à grande échelle.

  • Point critique de remplissage des barrages au Maroc atteint en 2024, idem en Algérie.

  • Mars 2025 : Alger réitère ses accusations via des médias, pointant une chute de 50 % du débit de l'Oued Guir, asséchant Djorf Torba (capacité 365 millions m³).

Résumé de la situation actuelle

Scénarios prospectifs

Statu quo avec tensions rhétoriques Probabilité : 70 %
Absence d'escalade de part et d’autre depuis 2021 malgré accusations algériennes. Le conflit entre les deux pays reste cantonné au niveau diplomatique principalement.

Déclencheur : Poursuite de la sécheresse sans événement majeur.

Conséquences régionales : Érosion économique progressive, hausse des coûts en dessalement. Risque de « pourrissement » de la situation si les gouvernements de part et d’autre ne prennent pas la mesure du problème

Risque important de révoltes et émeutes (Maroc 2017, Algérie 2024)

Risque important de coupures d’eau (déjà fréquentes en Algérie, y compris dans les grandes agglomérations)

Actions offensives dans la région frontalière Probabilité : 25 %
Pour sécuriser l’approvisionnement en eau : construction de nouveaux barrages, prélèvements intensifs dans les nappes phréatiques

Déclencheur : Nouvelle sécheresse majeure réduisant les débits, provoquant émeutes et forçant les gouvernements à prendre des mesures radicales. Plus probable côté algérien, étant donné le retard accumulé en matière d’approvisionnement en eau douce vs taille de la population

Conséquences régionales : Instabilité au Maghreb, impact sur les mouvements de population et la sécurité alimentaire, escalade pouvant déboucher sur des affrontements militaires.

Coopération transfrontalière Probabilité : 5 %
Les relations entre les pays restent très tendues, comme en témoigne la lutte acharnée entre les deux pays dans les coulisses de l’ONU en marge de la réunion du 31 octobre 2025 consacrée au renouvellement de la MINURSO et à la Résolution sur le Sahara occidental. Scénario inenvisageable sans règlement sur le fond des différends historiques entre les deux pays.

Déclencheur possible : Pression internationale suivant une crise climatique commune entraînant des conséquences migratoires importantes, notamment sur l'Europe

Actions recommandées – Acteurs économiques

Les entreprises opérant dans cette région doivent sécuriser leurs opérations face au risque hydrique.

  1. Diversifier les fournisseurs : Réduire dépendance aux zones Figuig-Béchar. Sourcer dattes en Tunisie ou Égypte (contrats +20 % volume).

  2. Auditer consommation d'eau : Cartographier usage par site (outil FAO Aquastat). Réduire de 15 % via recyclage interne.

  3. Investir en technologies : Partenariats avec IDE Technologies (dessalement) ou Netafim (goutte-à-goutte). Return on investment (ROI): 3-5 ans.

  4. Couvrir les risques : Souscrire assurance "stress hydrique" (se tourner vers des partenaires comme AXA Climate). Couvrir jusqu’à 30 % des actifs exposés.

  5. Lobbying régional : Pousser à la création d'un organisme de gestion bilatérale des ressources en eau, similaire à l'Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal.

À surveiller

Les gouvernements marocain et algérien doivent agir rapidement pour mitiger la crise hydrique. Voici les mesures concrètes à suivre :

  • Maroc :

    • Accélérer le Plan National de l'Eau 2020-2050 : lancer 5 nouvelles usines de dessalement d'ici 2027 (cible : +500 millions m³/an).

    • Réduire les pertes réseau (35 % actuelles) : réhabiliter 1 000 km de canalisations par an.

  • Algérie :

    • Finaliser le transfert Guetrani (200 km, opérationnel 2025) : connecter 300 000 habitants à Béchar.

    • Réparer fuites réseau (40 % de pertes) : investir 2 milliards USD d'ici 2030.

  • Bilatéral : Création d’un observatoire transfrontalier de l'Oued Guir (modèle Danube) avec capteurs IoT en temps réel. Conditionnel à un rétablissement des relatiosn diplomatiques

Conclusion

Risque global : MOYEN.

Prochain jalon : Forum mondial de l'eau 2026, aux Émirats arabes unis, du 2 au 4 décembre 2026

Surveiller à la fois la déclaration et la position des deux belligérants

@NorthAfrica Intel

Octobre 2025

Classification : Diffusion publique

Barrage Djorf Torba
Barrage Djorf Torba

Figure 1 - Évolution des niveaux d'eau avant même la construction du barrage Keddoussa. Credit: Medias24.ma

Figure 2 - Localisation de l'oued Guir, à la frontière entre le Maroc et l'Algérie